Les notes et ordres de la gendarmerie belge, clés de voute des recherches sur le corps au 20e siècle

Vu la situation archivistique ayant longtemps eu cours au sein de la gendarmerie belge, il ne fait guère de doute que la source principale pour l’étude de son fonctionnement administratif et institutionnel au 20e siècle se trouve dans ce qu’on appelle les différents registres d’ordres et de notes du corps qui regroupent l’ensemble des ordres, notes administratives ou consignes transmises de la pointe aux niveaux inférieurs de la pyramide de la gendarmerie (notamment les groupes et régions)1.

1. Ordres et notes de la gendarmerie : identification et apports à la recherche

Ces documents sont des recueils chronologiques (puis à partir de 1966, chrono-thématiques, selon une classification en lien avec les principales missions des gendarmes), établis par les commandants de certaines unités (essentiellement les groupes ou régions) à partir des instructions, notes, transmission d’informations et ordres généraux en provenance de l’État-Major, puis de la Direction de la gendarmerie. Ce sont donc des registres de correspondance reçue. Selon leur origine géographique, des variations peuvent exister entre deux registres conservés pour la même période : si les consignes destinées à l’ensemble du corps s’y retrouvent, il peut par contre avoir existé des consignes n’ayant été destinées qu’à certaines unités ou zones géographiques. De par leur fonction, ces documents administratifs sont donc particulièrement utiles pour cerner, presque au jour le jour, l’évolution de l’arme dans ses multiples méandres. On y lit les consignes sur les changements de l’organigramme du corps, sur son organisation générale. Mais pas seulement… Ces séries sont révélatrices des pratiques et logiques administratives d’une part et constituent des thermomètres des enjeux de l’ordre public d’autre part. Ces registres témoignent de la gestion des personnels, de mutations, de reconnaissances ou de sanctions. On y trouve aussi des traces des transformation dans l’équipement du corps. On y retrouve ensuite des consignes ou des rappels sur des priorités policières, sur des politiques d’ordre à mettre en place dans le pays. À ce titre, de telles séries permettent d’étudier la construction sociopolitique du « risque » contre lequel les gendarmes ont à lutter. Elles peuvent également contribuer à écrire l’histoire du système policier belge – en montrant la présence ou l’absences des autres acteurs de la chaîne répressive en son sein. Par la diversité des thématiques qui s’y retrouvent, par leur centralité dans la circulation de l’information au sein de la gendarmerie (outre les impulsions verticales qu’il donne par ses fonctions dirigeantes, l’État-major y apparait ainsi comme un lieu d’écho de différentes réalités régionales qu’on estime nécessaire de faire connaitre en d’autres points du territoire), par leur amplitude chronologie également, ces pièces sont majeures dans l’historiographie de la gendarmerie et de l’ordre en Belgique.

2. Mise en contexte et éléments de critiques

D’une part, ces registres ne sont pas les seuls documents qui ont été produits au sein de la gendarmerie. Les archives conservent des exemplaires isolés d’autres pièces de nature administrative, qui permettent d’aborder des thématiques proches2. Citons entre autres, les annuaires officiers qui donnent un aperçu précis et évolutif des affectations et postes existants au sein du corps. Les registres de correspondance résument quant-à-eux, de manière télégraphique et laconique les envois d’une unité précise de l’arme. Plus ponctuels encore, il a existé des registres M[achine] ou de correspondance confidentielle pour officiers. Il faut comprendre la nature, les fonctions et les objectifs de ces différentes pièces par rapport aux séries disponibles les plus complètes. Surtout, il faut réussir à articuler ces différentes séries administratives dans le fonctionnement global de l’institution, en tenant compte de ses réalités géographiques, hiérarchiques et fonctionnelles (par rapport aux fonctions différentes que la gendarmerie a pu exercer, de la police militaire à la police judiciaire)3. Qui produit ces différentes séries ? Dans quel cadre ? À qui ces documents sont-ils destinés ? Quand apparaissent-elles ou sont-elles clôturées? Que révèlent-ils sur les circuits de circulation de l’information produite et utilisée par les gendarmes ? Pour l’historien, il est primordial de comprendre les logiques de rassemblement, de transmission et de circulation de l’information au sein du corps. D’autre part, on s’intéressera à chacune des pièces des registres. Celles-ci sont datées, numérotées selon un classement propre au corps – témoignant notamment du service l’ayant envoyé.

Ce sont là les clés pour les identifier une par une. Écrites en français ou néerlandais selon les cas et les destinataires, elles sont évidemment rédigées dans un langage « gendarmique », avec son vocabulaire, ses tournures et ses codes particuliers. Parfois, elles nécessitent donc un décodage et une connaissance partielle de l’institution, pour comprendre les acronymes, ou le sens sous-jacent au vocabulaire hiérarchique et administratif. Le chercheur sera par exemple attentif au statut de transmission de la note, « pour information » ne signifiant par exemple pas la même chose que « pour information et exécution ». Le contexte de la note reste toujours primordial.

Si l’on se reporte à la note de 1944, montrée en exemple, relative à l’usage des armes au sein de la gendarmerie et aux qualités de tir des gendarmes, il ne faut pas oublier que cette note datée de l’Occupation allemande et signée du commandant de corps collaborateur. Dans le contexte du printemps 1944, on peut alors comprendre que certains gendarmes « hésitent » à tirer juste, face à une criminalité particulière (liée à la subsistance et au ravitaillement difficile en temps de guerre) ou au risque de se confronter à la résistance. On ne peut s’arrêter à la seule interprétation des qualités techniques ou de l’entrainement des gendarmes pour comprendre le pourquoi de cette note transmise aux unités. Enfin, on s’attardera également aux traces de « vie » de ces consignes. Souvent, les registres nous donnent à voir des traces de l’utilisation de registres. Certaines notes sont annotées, mises à jour à la main. On y précise par exemple la date de leur abolition et les références des nouvelles notes qui en prennent la suite. Ce processus de critique de la source et de son écosystème est le préalable indispensable à une utilisation raisonnée, évitant tout « effet de sources » de ces riches documents.

3. État de collection

L’ancien Musée de la police/service historique de la police de Bruxelles avait pu constituer au fil du temps une collection imposante de notes et d’ordres du corps, provenant notamment en large partie du groupe territorial de Bruges. Le Centre de documentation de la police fédérale conservait également des registres. À la fin de l’année 2020, ces différentes ressources ont pu être versées aux Archives générales du Royaume qui en assurent actuellement (février 2021) l’inventaire et le conditionnement pour une ouverture prochaine à la recherche. Avec quelques trous, on pourra y retrouver des notes de corps allant de 1920 à 1984, représentant près de 260 registres et liasses. Des registres d’ordres et d’ordres généraux existent également pour la période 1922-2000, ici aussi avec des lacunes et variations de formes à travers le temps.

  1. Outre nos travaux antérieurs, cette notice se base sur le travail de Madeleine Jacquemin et Arnaud Charon, menénotamment dans le cadre du projet Brain “Napol-Intel” de la politique scientifique fédérale belge. Lire Madeleine Jacquemin dans Inventaire des archives du Musée et du Centre de documentation de la police fédérale, Bruxelles, AGR, 2021 ou sur le site des Archives de l’Etat en Belgique.[]
  2. Voir la présentation et le relevé des archives faites par Madeleine Jacquemin dans Inventaire des archives du Musée et du Centre de documentation de la police fédérale, Bruxelles, AGR, 2021.[]
  3. Mutadis mutandis, le recours à l’expérience étrangère peut ici être d’une aide appréciable, notamment le travail réalisé en France, où les registres de correspondance sont clairement identifiés. Voir Jean-Noël Luc (ed.), Histoire de la maréchaussée et de la gendarmerie. Guide de recherches, Maisons-Alfort, SHGN, 2004.[]

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