Discours et représentations des polices

Outre son activité réelle, l’action policière repose également en large partie sur les représentations qu’elle se fait-elle-même et que le public ou les autorités politiques se font de l’institution. Pour le dire autrement, la police n’est pas uniquement ce qu’elle est ou ce qu’elle fait, elle est d’abord ce qu’elle croit être ou ce que l’on pense d’elle (stéréotypes, lieux communs, caricatures). Ces discours de la police et sur la police sont les deux facettes d’un même phénomène qui, s’influençant mutuellement, participent à la création d’une identité, d’une culture professionnelle. Il s’agit des valeurs communes, partagées, promues au sein et autour des polices. Dans une logique institutionnelle, elles orientent le manière d’exercer le travail policier. Elles participent ensuite à définir la légitimité et à renforcer la cohésion des institution, notamment par la mémoire, au-delà du turn-over des personnels. Pour le chercheur, l’analyse de ces représentations éclaire le fonctionnement et les transformations des polices. 

Tant les discours sur que les discours de la police sont des objets historiques : ils varient selon la période, le contexte et l’institution considérée. Ces représentations et les logiques identitaires qui en résultent se construisent également par la confrontation. Une police se définit – dit ce qu’elle est, n’est pas ou voudrait être – par rapport aux d’autres polices, à l’échelle d’un pays ou dans une perspective internationale. Le chercheur mobilisera des logiques de « modèle », « d’hybridation » ou de « repoussoir » pour caractériser cette dynamique.  

L’analyse dans la durée de ces représentations, soulignant à la fois les permanences et moments d’inflexion en leur sein est une porte ouverte à la compréhension de l’articulation entre police, état et société. Qu’est-ce qu’une bonne police ? Qu’attend-on des policiers ? Quelles sont les qualités demandées aux policiers ? À l’inverse, ces représentations définissent également l’image des insuffisances et écarts de la police. 

Idéalement, l’étude des représentations des polices envisage la généalogie des représentations, les lieux où ces caractéristiques identitaires se définissent, puis les moyens et acteurs de sa diffusion. Enfin, l’historien doit être attentif à l’usage qui est fait de ces représentations. Il s’intéressera aussi bien à la quotidienneté policière qu’aux moments de crises ou de profondes transformations des corps. L’analyse des représentations s’appuie ensuite sur la mobilisation de nombreuses sources, témoignant de la diversité de l’objet police. Ces sources nécessitent naturellement une lecture critique particulière. 

Dans une certaine mesure, les archives de la pratique des polices révèlent l’univers mental de la police et des policiers, notamment par la construction du discours et le vocabulaire utilisé. Mais les policiers produisent également d’autres documents révélateurs : presse professionnelle (officielle et corporatiste) ; mémoires écrits, souvenirs et écrits policiers ; « grandes figures » et policiers célèbres ; « histoire institutionnelle » longtemps écrite par des policiers pour des policiers. Il s’agit à chaque fois de documents où la police parle d’elle-même. Mêlant perspectives individuelles et discours institutionnels, l’archive orale (le « témoignage policier ») se révèle également très riche pour déconstruire ces représentations. L’iconographie est incontournable (affiches de recrutement, communication institutionnelle). Enfin, les représentations se construisent dans les objets et rituels policiers : les uniformes, insignes, étendards, armes, véhicules, décorations mais aussi les cérémonies sont autant de réalités nourrissant l’analyse.

Pour qui s’intéresse aux discours sur les polices, les discours médiatiques, les productions artistiques, mais aussi les propos scientifiques ou militants sont les principales ressources disponibles. Leur utilisation nécessite une triple contextualisation. Elle s’ancre dans une histoire matérielle et intellectuelle des médias (naissance du faits-divers, du roman policier, contraintes et progrès techniques dans la presse…), dans une approche sociopolitique contextuelle et enfin, dans une histoire générale des polices.